Jean de La Fontaine.
Fable .
L'ÂNE ET SES MAITRES
L'Âne d'un Jardinier se plaignait au Destin
De ce qu'on le faisait lever devant l'aurore.
Les Coqs, lui disait-il, ont beau chanter matin ;
Je suis plus matineux encor.
Et pourquoi ? Pour porter des herbes au marché.
Belle nécessité d'interrompre mon somme !
Le sort de sa plainte touché
Lui donne un autre Maître ; et l'Animal de somme
Passe du Jardinier aux mains d'un Corroyeur.
La pesanteur des peaux, et leur mauvaise odeur
Eurent bientôt choqué l'impertinente Bête.
J'ai regret, disait-il, à mon premier Seigneur.
Encor quand il tournait la tête,
J'attrapais, s'il m'en souvient bien,
Quelque morceau de chou qui ne me coûtait rien.
Mais ici point d'aubaine ; ou si j'en ai quelqu'une
C'est de coups. Il obtint changement de fortune,
Et sur l'état d'un Charbonnier
Il fut couché tout le dernier.
Autre plainte. Quoi donc, dit le Sort en colère,
Ce Baudet-ci m'occupe autant
Que cent Monarques pourraient faire.
Croit-il être le seul qui ne soit pas content ?
N'ai-je en l'esprit que son affaire ?
Le Sort avait raison ; tous gens sont ainsi faits :
Notre condition jamais ne nous contente :
La pire est toujours la présente.
Nous fatiguons le Ciel à force de placets.
Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête,
Nous lui romprons encor la tête.
Morale : tous gens sont ainsi faits :
Notre condition jamais ne nous contente :
La pire est toujours la présente.
Nous fatiguons le Ciel à force de placets.
Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête,
Nous lui romprons encore la tête.