FABLE JEAN DE LA FONTAINE
LE SINGE ET LE CHAT
Bertrand avec Raton, l’un Singe, et l’autre Chat,
Commensaux (1) d’un logis, avaient un commun Maître.
D’animaux malfaisants c’était un très bon plat (2) ;
Ils n’y craignaient tous deux aucun (3), quel qu’il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté ?
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage.
Bertrand dérobait tout ; Raton de son côté
Était moins attentif aux souris qu’au fromage.
Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons ;
Les escroquer était une très bonne affaire
Nos galands (4) y voyaient double profit à faire,
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.
Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd’hui
Que tu fasses un coup de maître.
Tire-moi ces marrons ; si Dieu m’avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu.
Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte,
D’une manière délicate,
Écarte un peu la cendre, et retire les doigts,
Puis les reporte à plusieurs fois ;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.
Et cependant (5) Bertrand les croque.
Une servante vient : adieu mes gens. Raton
N’était pas content, ce dit-on,
Aussi (6) ne le sont pas la plupart de ces Princes
Qui, flattés d’un pareil emploi,
Vont s’échauder (7) en des Provinces,
Pour le profit de quelque Roi.
(1) officiers du roi qui étaient nourris à la cour
(2) on disait à l'époque de 2 ou 3 personnes de même "génie", qui ne valaient pas grand-chose : voilà un bon plat.
(3) dans l'idée de mal faire, ils ne craignaient personne
(4) à prendre dans le sens : habile, adroit, qui réussit bien dans ses affaires
(5) pendant ce temps
(6) de même
(7) référence à Raton qui s'est brûlé la patte
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